Voilà un article auquel je réfléchis depuis longtemps. En fait, c’est le seul que j’ai pré-écrit sur papier. Il est différent de ceux que j’ai pu écrire jusque là et va vous surprendre, voire vous choquer. Je me suis posé de nombreuses questions sur la façon de l’écrire, et sur le fait de le publier ou non. J’ai avant tout envie que cet article soit utile.
Si vous avez pris plaisir et intérêt à suivre mes aventures ces derniers mois, je vous serais reconnaissant de le lire jusqu’au bout. Comme d’habitude, si vous voulez réagir, vous pouvez le faire dans les commentaires, mais en restant courtois et en vous rappelant que vous êtes sur un espace public. Merci 🙂
Mercredi 10 Février 2010 :
Je suis arrivé au Cambodge, à Siem Reap, depuis quelques jours. Avec des amis rencontrés sur place, nous nous rendons à un cours d’initiation à la méditation proposé par une Australienne; c’est gratuit, je suis en voyage, donc aucune raison de ne pas tenter l’expérience (et non, je ne me suis pas fait enrôler par une secte).
Après une discussion introductive plutôt intéressante entre les élèves d’un soir et le professeur, nous débutons la phase de méditation à proprement parler. Certains y arrivent. En ce qui me concerne, impossible de discipliner le flot de pensées qui s’entrecroisent sans cesse dans mon cerveau.
Une fois le temps de méditation écoulé, le professeur demande à chacun d’entre nous le résultat, et si c’est un échec, s’enquière de la raison. Lorsque vient mon tour, je réponds que j’ai échoué parce que je ne sais pas qui je suis.
Ce n’est pas la réponse en soit qui m’a surpris. C’est la façon dont elle m’est apparue si spontanément.
Quelques minutes plus tard, le professeur nous demande de nous définir par un seul qualificatif. Sans hésiter, je réponds « Volonté ».
Je ne sais pas qui je suis, mais je peux me définir. Paradoxal non ?
Je vais essayer de vous expliquer.
Il y a quelques années de cela, j’ai fait une tentative de suicide. Pas pour une raison en particulier, mais plus à cause d’un cumul de choses, principalement : mes amis étaient loin, mon avenir professionnel ne m’apparaissait en rien stimulant et j’avais des problèmes sentimentaux. J’avais à tout point de vue l’impression d’être dans un cul-de-sac.
En France, c’est difficile de dire qu’on va mal. On va toujours te répondre que tu es privilégié et que d’autres sont plus malheureux que toi. C’est stupide. Vous iriez dire à un manchot : « Arrête de te plaindre, tu pourrais être cul-de-jatte en plus ? ».
A aucun moment de ma vie, je ne me suis considéré comme l’être le plus malheureux du monde. Ça n’empêche en rien que j’allais vraiment mal.
Alors que j’étais en convalescence et qu’il fallait que je gère déjà cet événement, il s’est produit quelque chose que je n’aurais imaginé : certaines personnes de mon entourage réagirent violemment à mon acte.
D’un coup, ma vie s’est trouvée coupée en deux. Comment devais-je à présent regarder ces années que j’avais passées avec ces gens qui m’accusaient à présent de faire du chantage, qui pouvaient penser que j’avais fait semblant, que j’étais un salaud ? C’est comme si on avait construit un mur de Berlin dans mon cerveau. Tout ce qui était « avant le mur » était devenu flou; je ne pouvais plus vraiment dire que c’était moi et mon passé. On m’avait volé une partie de moi.
Les gens tentent de bâtir leur vie. Moi, c’est comme si on m’avait bombardé le rez-de-chaussée. Comment voulez-vous que je passe au premier étage ?
J’eus non seulement l’impression d’être coupé en deux, mais en plus de vivre en perpétuel décalage avec les autres. Car leurs vies à eux continuaient. Et le « jeu » des apparences avec.
« T’as toujours pas de copine ? » C’est ma question préférée, celle-là. Qu’est-ce que vous voulez que je réponde ?
Je ne suis qu’une moitié de moi-même, j’ai des choses insolubles en permanence dans ma tête, je n’ai plus goût aux choses, j’ai des proches qui peuvent penser à tort que je suis un menteur ou bien tout autant à tort culpabiliser dans le silence, j’essaie de ne pas devenir fou, je contiens toute cette violence pour ne pas me défouler sur des personnes qui sont indépendantes de mes problèmes, je fais un effort par rapport aux autres, et tu me demandes si j’ai pas de copine ?
C’est plus ou moins à ce moment-là que se pointe généralement la fameuse « Théorie de l’Oubli » : « Mais tu sais, Hugo, il faut savoir passer à aute chose, …c’est la vie. ».
C’est la vie. La phrase la plus conne de l’univers. C’est la vie, ça peut servir de réponse à tout et à n’importe quoi, d’échapattoire plus exactement :
« Les prix augmentent, c’est la vie. »
« Le diner est grillé, c’est la vie. »
« Des enfants se font violer, c’est la vie. »
Tiens, c’est marrant, je sens que vous êtes moins chaud sur le dernier exemple ? C’est la vie ne serait donc pas la réponse universelle parfaite et idéale ? Mince alors.
Si j’oublie, ça veux dire que je nie ce qui s’est passé, que je laisse gagner le doute et ceux qui pensent que j’ai fait semblant ou que je n’ai pas pensé aux autres. Et ça n’est pas la vérité.
Après généralement, on essaie de me convaincre en utilisant la « Théorie des gens pas biens » : « Mais tu sais, Hugo, ces personnes qui ont réagi comme ça, ce sont des gens pas biens. ». Sauf que ce n’est pas le cas. Et c’est ça le pire. Ce sont des personnes très différentes les unes des autres, mais en aucun cas mauvaises. Ça pourrait être n’importe lequel d’entre vous.
En France, le suicide est la seconde cause de mortalité chez les jeunes. Tentatives réussies ou non, ça concerne des dizaines de milliers de personnes par an. Des gens biens, des gros cons. Toutes sortes de personnes.
Mais chut, surtout n’en parlons pas. Ou alors via les bons gros clichés.
Je n’ai pas de violence envers les personnes. Une seule fois pendant toutes ces années j’ai ressenti de la haine. Pendant deux secondes. Ça a suffi pour être écoeurant; j’ai compris que ça pouvait me détruire. J’ai de la violence envers l’incompréhension. Je n’ai pas envie que les gens s’apitoient sur mon sort; je voudrais qu’ils comprennent.
Durant mon voyage, j’ai rencontré deux autres personnes avec des vécus totalement différents (homosexualité découverte tardivement, anorexie et séjour en psychiatrie) mais qui se sont retrouvés dans les sensations, les mécanismes que je leur décrivais. Ça n’a donc rien de rare.
J’en ai marre de cacher cette chose-là comme si elle était honteuse. Je n’ai pas honte, je n’ai pas à avoir honte et je n’ai pas envie de me cacher. Toute ma vie ne tourne pas autour de ça, mais c’en est une partie, et je ne l’effacerai pas pour paraître « plus présentable ».
Dans la vie, c’est comme lorsque vous voyagez : vous pouvez choisir de voir ou regarder, d’entendre ou écouter, de vous cantonner aux apparences ou de prêter attention aux détails. Mais quoi qu’il arrive, vous avez toujours ce choix.
Je voudrais que les choses changent. Mais ça ne dépend pas que de moi.
En conclusion, voici la carte – tirée au hasard – que j’ai obtenu à la fin de la séance de méditation :